vendredi 14 décembre 2012

Ma première rencontre avec les sourds oralistes non signants

Deuxième année de fac. J'avais 20 ans.

J’ai été invitée à une soirée de bienvenue organisée par l’association des étudiants sourds qui avait accepté de me prendre en charge à l’époque. En arrivant, je devins timide, je ne connaissais personne. Pire, les gens avaient l’air de bien se connaître depuis perpète.

Nous nous rendîmes dans une salle où un cocktail dînatoire nous attendait. Des clans commençaient à se former : d’un côté des sourds oralisés qui codaient*, de l’autre des sourds qui signaient, et plus loin les membres du CA de l’association… J’étais devant un dilemme : vers quel groupe de sourds aller voir ? Les LPCistes* (que des filles) ou les signeurs (des garçons en majorité) ? « Bon, faisons simple, je vais commencer la soirée avec les LPCistes et la terminer avec les signeurs » me disais-je.
Dans le groupe des LPCistes, ce fut dur pour moi de suivre les conversations des sourds qui codaient* et qui n’articulaient pas mieux que les entendants. Mais quel choc j’eus en apprenant qu’aucun d’entre eux ne maîtrisait la LSF, encore moins la pratiquer. Hein, des sourds qui ne savent même pas signer ??? « C’est un comble », me disais-je, moi qui avais toujours rencontré durant ma jeunesse des sourds qui signaient, qu’ils oralisaient ou non. Personne ne m’avait J A M A I S dit qu’il existait des sourds qui oralisaient sans savoir signer du tout. Les conversations avec ledit groupe étaient vachement intéressantes (c'est de l'ironie, hein) : elles tournaient autour de l’amoureux de l’une des filles du groupe… Je m’ennuyais déjà ferme. Comme une étrangère qui ne comprenait que dalle la langue de ce groupe qui est pourtant la sienne...! Heureusement qu’une autre fille remarqua ma présence et me demanda d’où je venais et ce que je faisais comme études.

Je suis ensuite allée dans l’autre groupe, celui des signeurs. Là, tout devint clair comme l'eau d'Evian : je pus enfin comprendre tout ce qu’ils disaient. Comme je venais d’une autre ville, ils ne comprenaient pas quelques signes de ma LSF, il me fallut me remettre au diapason mais c’était amusant. Et tout s’enchaîna rapidement : nous abordâmes le sujet des similitudes et des différences culturelles chez les sourds d'une ville à l'autre, les instituts spécialisés, l’intégration, la fac, la recherche d'emploi, etc. C’étaient des sourds qui ont oralisé dans le passé et qui ont choisi la LSF comme langue par défaut. Donc des bilingues… comme moi.

Après avoir côtoyé des sourds oralistes non signants pendant quelques années, j’ai pris les voiles et me suis définitivement tournée vers les sourds bilingues - oralisés ou non - dont la langue par défaut est la LSF.

A force d'avoir le cul entre deux chaises, on finit par se casser la figure...

« coder » = utiliser le LPC. LPC = langage parlé complété. Pour des raisons personnelles, je ne m’étalerai pas sur le sujet ni ici ni ailleurs sur le blog.

6 commentaires:

  1. Intéressant texte ! Personnellement, je n'ai jamais vécu pareil situation, donc ton point de vue est hautement passionnant !

    Yann

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    1. Eh oui, chaque histoire, chaque personne est unique.
      Sucama

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  2. "A force d'avoir le cul entre deux chaises, on finit par se casser la figure..."

    Ca tu l'as dit ! tu as fait ton choix et tu l'assumes, tu as bien raison ! :)

    enolia alias tusaisqui

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    1. Merci Enolia :)
      Effectivement, ce n'est pas toujours pratique d'avoir le cul entre deux chaises (entendant / sourd ou sourd oraliste / sourd signeur), même s'il est super que nous puissions avoir un pied dans un monde et l'autre dans un autre.
      Sucama

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